Le loup, bouc émissaire ?

Entre chien et loup

Les chiens divagants, un problème méconnu …

Lundi 9 décembre 2013, par anne kimmel // 700. Chasse, gibier, "nuisibles".

Après la séance, la discussion se poursuit et quelqu’un, quelqu’une pour être précise, remarque : « une attaque occasionnant de nombreuses brebis mordues, estropiées, mutilées comme c’est le cas dans le film, s’apparente plus à une attaque de chiens errants qu’à celle de loups ».

Et ceci me trotte dans la tête, j’ai voulu en savoir plus.

Petit retour en arrière, depuis une bonne trentaine d’années que j’habite en Midi-Pyrénées, j’ai en effet eu connaissance autour de moi, et à plusieurs reprises, de troupeaux de brebis décimés par des chiens, égorgées ou blessées, la plupart mortes par étouffement, dans la panique, au fond d’une bergerie. Certains chiens ont été euthanasiés, d’autres attachés au bout d’une chaîne de façon définitive. Arrivée dans le sud du Lot, j’ai à nouveau été mise en garde : des attaques de chiens errants s’étaient produites de façon répétée sans qu’on puisse mettre la main sur les auteurs du méfait.

Et pourtant, à ma connaissance, il n’a jamais été question d’exterminer les chiens dans leur totalité. Ni de faire des « prélèvements ». Tout au plus d’en mettre certains hors d’état de nuire lorsque c’était nécessaire. Pourquoi cette différence ?

Je ressentais le besoin d’un avis plus compétent. Je me suis donc adressée à Julie Delfour que nous avions rencontrée en avril dernier lors de la visite d’un refuge LPO, consacrée à la faune sauvage dite « nuisible ». Elle m’a envoyée en retour le texte ci-dessous que je n’ai pu me résoudre à couper tant il apporte un éclairage différent au discours ambiant qui se développe autour du loup. Le plus simple est de lui donner la parole.

Julie Delfour. Extrait de « Vivre avec le loup » Editions Hesse, 2004. http://www.juliedelfour.com/

« Depuis 1992, date officielle de son retour en France, le loup réactive des problèmes latents dont personne ne veut parler, comme ceux de la crise de la filière ovine, des chiens divagants ou des antagonismes politiques au sein des chambres d’agriculture. Tandis qu’on mobilise plus d’énergie à chercher les moyens de précipiter la disparition du prédateur que d’empêcher celle des éleveurs, on se trompe, en définitive, sur les causes réelles du malaise.

Les chiens divagants, un problème méconnu

La question des chiens divagants est au nombre de ces réalités que personne ne révèle au grand jour. Chaque année, ils sont responsables de la disparition de quelques centaines de milliers de moutons. Bien qu’il n’existe aucune étude statistique, on estime qu’entre 1993 et 1999 les loups auraient causé la mort de 3 000 ovins, la brucellose et la foudre près de 150 000, et les chiens divagants près de 500 000.

Les chiens errants bénéficient d’un grand flou quant à leur nombre, leurs méfaits et leur identité. La Société protectrice des animaux estime qu’environ cent mille chiens sont abandonnés par an en France, mais aucun organisme officiel n’est en mesure de donner des chiffres précis. Des études ponctuelles et isolées conduites par les Directions départementales de l’agriculture et de la forêt, par la FRAPNA dans l’Isère ou le CERPAM dans le Monges, estiment qu’ils occasionnent chaque année des dégâts sur 2 à 8% du cheptel. Le flou concerne aussi leur identité qui peut être très variable : chiens citadins battant la campagne depuis une résidence secondaire, chiens de ferme sans collier ni chaîne, libres d’aller et venir à leur guise, chiens de chasse livrés à eux-mêmes durant plusieurs jours, chiens de randonneurs non tenus en laisse et qui retrouvent leur instinct de poursuite à la vue d’un troupeau, chiens de berger divagants ou encore chiens (peu nombreux en France) totalement retournés à l’état sauvage ne connaissant plus ni collier ni maître depuis longtemps.

La majorité des carnages dans les troupeaux sont le fait des chiens de chasse, de ferme ou de touristes, des chiens attachés un jour, lâchés l’autre, livrés à eux-mêmes avec la complicité de leur propriétaire. C’est pourquoi personne n’a envie de se vanter de leurs frasques. Si cela est possible, il est préférable de les faire endosser à un autre coupable, moins proche de l’homme. Le loup a cet avantage qu’il implique moins la responsabilité humaine. Il est aussi celui que l’on veut exclure et contre lequel on cherche à réunir les preuves de son incompatibilité avec le monde de l’élevage. Taire l’implication des chiens et crier celle du loup fait donc d’une pierre deux coups ! Cela fausse évidemment les données du problème et donne libre cours à des discours plus ou moins fondés.

« Il y a beaucoup moins de chiens errants aujourd’hui, et les paysans s’en chargent », assure Daniel Spagnou, Maire de Sisteron, visiblement agacé qu’on veuille trouver un autre coupable que le loup. Une sorte de loi du silence semble également freiner les études scientifiques sur cette question, les dommages causés par des chiens n’ayant jamais fait l’objet d’une véritable analyse approfondie. On ne possède que quelques chiffres aux sources imprécises, des estimations issues d’études ponctuelles, limitées dans l’espace et le temps. On sait pourtant qu’il s’agit d’un véritable fléau pour le pastoralisme.

Cinq cent mille brebis meurent chaque année en France, et la part du chien dans ce triste constat est loin d’être négligeable (estimé entre 2 et 8% du cheptel). Lors d’une attaque, les dégâts prennent rapidement de l’ampleur, car les chiens ne craignent pas l’homme. Ces vagabonds d’un jour ou d’une vie se réunissent en bandes meurtrières, plus étendues qu’une meute de loups. Pour une ou deux brebis mangées, c’est tout autour un carnage de bêtes dérochées, étouffées dans la panique ou simplement tuées pour le plaisir du jeu.

Dans le massif des Trois Becs (Drôme), en avril 1997, trois cent quarante bêtes terminent leur course en bas d’une falaise, poursuivies par trois chiens. Dans le Béarn, l’été 1997, deux chiens ont provoqué la mort de cent soixante brebis. En septembre 1997, à Saint-Véran, dans les Hautes-Alpes, cinquante cinq brebis ont sauté d’une falaise pour échapper à des chiens, mais cette attaque a finalement été imputée au loup, pour apaiser les esprits. Rares sont les journaux qui évoquent les chiens divagants, alors qu’ils valorisent systématiquement l’impact du loup sur les troupeaux.

Henri, éleveur et berger, prend le risque de témoigner et d’exposer le problème. Il est l’un des seuls à le faire, et à affirmer en parlant du loup que « le véritable danger est ailleurs. On accuse trop souvent le loup à tort. Le danger ce sont les chiens. Ils sont de plus en plus nombreux et font beaucoup de dégâts. » Ce sont les chiens, non les loups, qui l’ont décidé à prendre des mesures. Il a installé des filets de contention pour les bêtes et adopté trois patous. Il ne tarit pas d’éloges sur ses chiens : « Depuis quatre ans, je n’ai plus de problèmes. Ils font bien leur boulot. Avant de les avoir, c’était une catastrophe. Là où j’estivais, trente bêtes ont été tuées la première année. La deuxième année, les mêmes chiens, des chiens de chasseurs, sont rentrés dans le parc malgré la clôture et ont massacré trente bêtes de plus. » Le vrai problème c’est « l’amalgame chien-loup » entretenu par les médias : « Ils mélangent tout. On ne parle pas des chiens et on ne parle que du loup. Dès qu’il y a une attaque, on ne cherche pas à comprendre : du moment qu’il y a la présence de loup dans un massif, c’est lui. On lui met tout sur le dos, alors que les chiens font bien plus de mal ! ». Henri craint même la disparition du loup. Son argument, impopulaire au sein de la profession, semble fondé sur le bon sens : « S’il n’y a plus de loups, il n’y aura plus de chiens de protection, et là, ce sera de nouveau des massacres par les chiens errants ! ». En outre, le chien est l’une des proies du loup. Dans les zones où les densités de loups sont importantes, comme dans la Culebra espagnole et certaines régions des Carpates en Roumanie, il n’y a aucun chien errant…

Pourtant, on préfère souvent faire du loup un bouc émissaire plutôt que de reconnaître que le véritable problème est ailleurs : dans le déséquilibre d’un système qui rend nécessaire l’évolution des méthodes d’élevage, dans la dévalorisation du métier de berger ou dans la divagation des chiens, menace réelle pour les troupeaux. »

Voilà qui mérite réflexion….

Et d’autres questions me viennent aussitôt à l’esprit. Celle-ci par exemple : les indemnités que touchent les éleveurs sont-elles identiques selon qu’il s’agit d’attaques de loups ou de chiens errants ? Si ce n’est pas le cas, quelle crédibilité accorder aux déclarations de pertes ?

http://www.lotnature.fr/spip.php?ar…

Et celle-ci : les loups s’attaquent au « gros gibier » (chevreuil, sanglier, etc.). Ne vont-ils pas de ce fait, là où ils s’installent, entrer en compétition avec les chasseurs ? Cette corporation puissante risque de peser de tout son poids pour l’instauration d’un droit de chasse qu’on appellera (qu’on appelle déjà) régulation, prélèvement, etc. Sous couvert de protection des éleveurs et des troupeaux…

Et ce serait un comble de faire d’une espèce protégée un gibier de plus, un gibier de choix… la 92e espèce chassable en France.

Si nous voulons un jour cohabiter de façon intelligente avec la faune sauvage, notre première démarche est de la connaître. Et pour apprendre à connaître le loup, il existe un lieu privilégié dans le Lot : le Parc animalier de Gramat.

http://www.gramat-parc-animalier.com/

De nombreuses visites accompagnées sont proposées aux visiteurs, enfants et adultes. L’une d’entre elles s’intitule : « le rôle des grands prédateurs dans l’équilibre naturel » et concerne plus particulièrement « le loup, cet animal méconnu ».

http://www.gramat-parc-animalier.co…

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10 Messages de forum

  • Entre chien et loup 9 décembre 2013 14:05, par Tineke Aarts

    Merci pour ce point de vu, qui donne des nuances obligatoires à ce débat sur les ’nuisances’… J’ai vu ce beau film à Mercuès. J’étais heureuse que la salle était pleine (bravo pour les organisateurs !) A ma surprise, j’ai compris dans la discussion qu’il y a encore si peu de loups sur le territoire Français… Et quel rôle jouent ces grands prédateurs dans l’équilibre naturel.

    Je conseil également ce livre ’Le loup’ de Julie Delfour et Philippe Huet (2003, édition Flammarion), qui parle de tous aspects (l’éradication dans le passé) et qui t’introduit bien dans leur univers sauvage…

    Quelque fois c’est bien à se rendre compte que l’opinion dominant dans la presse, n’est pas toujours l’opinion le plus partagé… Bienvenu aux loups !

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  • Entre chien et loup 9 décembre 2013 17:11, par Jean-Pierre Jacob

    Les mots ont leur importance : le loup , espèce protégée en Europe, a un régime carnivore  ; au niveau chasse, ce n’est pas une espèce nuisible.

    Pour ceux qui veulent suivre calmement et sérieusement l’actualité d’une réflexion originale des écologistes sur l’espèce, lire les articles écrits sur le site de la Buvette des Alpages

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    • Entre chien et loup 9 décembre 2013 18:34, par akha

      Bien sûr, je ne crois pas avoir, à aucun moment, placé le loup dans les espèces nuisibles.
      J’ai juste évoqué, par son alimentation carnivore, le risque qu’il se trouve en compétition possible avec les chasseurs sur le grand gibier.

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      • Entre chien et loup 9 décembre 2013 18:40, par akha

        … et que ceci ne joue pas en sa faveur.

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        • Entre chien et loup 10 décembre 2013 10:31, par Tineke Aarts

          C’est bizarre cette concurrence entre des grands prédateurs et les chasseurs, mais on l’entend dire régulièrement. Déjà les chasseurs n’arrivent pas à "réguler" les populations des gibiers, comme ils disent pour justifier cette chasse 7 jours sur 7 (même le dimanche avec tous les accidents et nuisances que cela provoque…)…

          Puis, ils déséquilibrent, on nourrissant les gibiers pour avoir des proies plus faciles. C’est une chasse ’loisir’ au lieu d’une chasse par des professionnels… Absolument inacceptable, aussi pour le stress que cette loisir donne à la faune sauvage.

          Pour les quelques loups (entre 200 et 300 ?) sur le territoire, les grands gibiers sont leur nourriture naturel et ne manquent donc pas du tout. Ce sont les mœurs et les mentalités qui tardent à changer…

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          • Entre chien et loup 10 décembre 2013 10:40, par Tineke Aarts

            Quelle coïncidence, je viens de recevoir ce message. Voilà comment des espèces protégées sont traitées…

            COMMUNIQUÉ DE PRESSE DE L’ASPAS :

            L’État abat nos loups, l’ASPAS demande une trêve pour Noël

            À ce jour, près de 400 tirs de loups ont été ordonnés en France : une quarantaine de tirs dits « de prélèvement », et plus de 350 dits « de défense », sur une population estimée seulement à 250 individus ! 7 animaux ont été officiellement abattus, d’autres probablement blessés, sans compter les tirs « d’effarouchement » et le braconnage qui chaque année fait disparaître en douce plusieurs dizaines de loups.

            Lire la suite sur : http://www.aspas-nature.org/8247/l%…

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    • Entre chien et loup 10 décembre 2013 07:31, par Jean-Pierre Jacob

      Nuisible en droit de la chasse a une signification précise qui fait en ce moment l’objet de débats à l’Assemblée Nationale. Chasseurs et éleveurs désireraient que le loup soit une espèce classée "nuisible".

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  • Entre chien et loup 11 décembre 2013 15:34, par Jean-Pierre Jacob

    Le loup et le sénateur sur le site de Public Sénat

    Bien observer les techniques approfondies de communication d’un représentant de l’espèce Homo sapiens var. senatoricolus avant les prochaines élections municipales françaises

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  • Entre chien et loup 14 décembre 2013 07:56, par Jean-Pierre Jacob
  • Entre chien et loup 14 décembre 2013 08:48, par akha

    Je viens de voir, sur le site du Parc animalier de Gramat, que la présentation du nourrissage des loups (14h30) et des loutres (16h30) se poursuit durant les vacances de Noël. (Sauf le 25 décembre et le 1 janvier). L’occasion de poursuivre ce débat sur le terrain…

    http://www.gramat-parc-animalier.co…

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