Après la séance, la discussion se poursuit et quelqu’un, quelqu’une pour être précise, remarque : « une attaque occasionnant de nombreuses brebis mordues, estropiées, mutilées comme c’est le cas dans le film, s’apparente plus à une attaque de chiens errants qu’à celle de loups ».
Et ceci me trotte dans la tête, j’ai voulu en savoir plus.
Petit retour en arrière, depuis une bonne trentaine d’années que j’habite en Midi-Pyrénées, j’ai en effet eu connaissance autour de moi, et à plusieurs reprises, de troupeaux de brebis décimés par des chiens, égorgées ou blessées, la plupart mortes par étouffement, dans la panique, au fond d’une bergerie. Certains chiens ont été euthanasiés, d’autres attachés au bout d’une chaîne de façon définitive. Arrivée dans le sud du Lot, j’ai à nouveau été mise en garde : des attaques de chiens errants s’étaient produites de façon répétée sans qu’on puisse mettre la main sur les auteurs du méfait.
Et pourtant, à ma connaissance, il n’a jamais été question d’exterminer les chiens dans leur totalité. Ni de faire des « prélèvements ». Tout au plus d’en mettre certains hors d’état de nuire lorsque c’était nécessaire. Pourquoi cette différence ?
Je ressentais le besoin d’un avis plus compétent. Je me suis donc adressée à Julie Delfour que nous avions rencontrée en avril dernier lors de la visite d’un refuge LPO, consacrée à la faune sauvage dite « nuisible ». Elle m’a envoyée en retour le texte ci-dessous que je n’ai pu me résoudre à couper tant il apporte un éclairage différent au discours ambiant qui se développe autour du loup. Le plus simple est de lui donner la parole.
Julie Delfour. Extrait de « Vivre avec le loup » Editions Hesse, 2004. http://www.juliedelfour.com/
Les chiens divagants, un problème méconnu
La question des chiens divagants est au nombre de ces réalités que personne ne révèle au grand jour. Chaque année, ils sont responsables de la disparition de quelques centaines de milliers de moutons. Bien qu’il n’existe aucune étude statistique, on estime qu’entre 1993 et 1999 les loups auraient causé la mort de 3 000 ovins, la brucellose et la foudre près de 150 000, et les chiens divagants près de 500 000.
Les chiens errants bénéficient d’un grand flou quant à leur nombre, leurs méfaits et leur identité. La Société protectrice des animaux estime qu’environ cent mille chiens sont abandonnés par an en France, mais aucun organisme officiel n’est en mesure de donner des chiffres précis. Des études ponctuelles et isolées conduites par les Directions départementales de l’agriculture et de la forêt, par la FRAPNA dans l’Isère ou le CERPAM dans le Monges, estiment qu’ils occasionnent chaque année des dégâts sur 2 à 8% du cheptel. Le flou concerne aussi leur identité qui peut être très variable : chiens citadins battant la campagne depuis une résidence secondaire, chiens de ferme sans collier ni chaîne, libres d’aller et venir à leur guise, chiens de chasse livrés à eux-mêmes durant plusieurs jours, chiens de randonneurs non tenus en laisse et qui retrouvent leur instinct de poursuite à la vue d’un troupeau, chiens de berger divagants ou encore chiens (peu nombreux en France) totalement retournés à l’état sauvage ne connaissant plus ni collier ni maître depuis longtemps.
La majorité des carnages dans les troupeaux sont le fait des chiens de chasse, de ferme ou de touristes, des chiens attachés un jour, lâchés l’autre, livrés à eux-mêmes avec la complicité de leur propriétaire. C’est pourquoi personne n’a envie de se vanter de leurs frasques. Si cela est possible, il est préférable de les faire endosser à un autre coupable, moins proche de l’homme. Le loup a cet avantage qu’il implique moins la responsabilité humaine. Il est aussi celui que l’on veut exclure et contre lequel on cherche à réunir les preuves de son incompatibilité avec le monde de l’élevage. Taire l’implication des chiens et crier celle du loup fait donc d’une pierre deux coups ! Cela fausse évidemment les données du problème et donne libre cours à des discours plus ou moins fondés.
« Il y a beaucoup moins de chiens errants aujourd’hui, et les paysans s’en chargent », assure Daniel Spagnou, Maire de Sisteron, visiblement agacé qu’on veuille trouver un autre coupable que le loup. Une sorte de loi du silence semble également freiner les études scientifiques sur cette question, les dommages causés par des chiens n’ayant jamais fait l’objet d’une véritable analyse approfondie. On ne possède que quelques chiffres aux sources imprécises, des estimations issues d’études ponctuelles, limitées dans l’espace et le temps. On sait pourtant qu’il s’agit d’un véritable fléau pour le pastoralisme.
Cinq cent mille brebis meurent chaque année en France, et la part du chien dans ce triste constat est loin d’être négligeable (estimé entre 2 et 8% du cheptel). Lors d’une attaque, les dégâts prennent rapidement de l’ampleur, car les chiens ne craignent pas l’homme. Ces vagabonds d’un jour ou d’une vie se réunissent en bandes meurtrières, plus étendues qu’une meute de loups. Pour une ou deux brebis mangées, c’est tout autour un carnage de bêtes dérochées, étouffées dans la panique ou simplement tuées pour le plaisir du jeu.
Dans le massif des Trois Becs (Drôme), en avril 1997, trois cent quarante bêtes terminent leur course en bas d’une falaise, poursuivies par trois chiens. Dans le Béarn, l’été 1997, deux chiens ont provoqué la mort de cent soixante brebis. En septembre 1997, à Saint-Véran, dans les Hautes-Alpes, cinquante cinq brebis ont sauté d’une falaise pour échapper à des chiens, mais cette attaque a finalement été imputée au loup, pour apaiser les esprits. Rares sont les journaux qui évoquent les chiens divagants, alors qu’ils valorisent systématiquement l’impact du loup sur les troupeaux.
Henri, éleveur et berger, prend le risque de témoigner et d’exposer le problème. Il est l’un des seuls à le faire, et à affirmer en parlant du loup que « le véritable danger est ailleurs. On accuse trop souvent le loup à tort. Le danger ce sont les chiens. Ils sont de plus en plus nombreux et font beaucoup de dégâts. » Ce sont les chiens, non les loups, qui l’ont décidé à prendre des mesures. Il a installé des filets de contention pour les bêtes et adopté trois patous. Il ne tarit pas d’éloges sur ses chiens : « Depuis quatre ans, je n’ai plus de problèmes. Ils font bien leur boulot. Avant de les avoir, c’était une catastrophe. Là où j’estivais, trente bêtes ont été tuées la première année. La deuxième année, les mêmes chiens, des chiens de chasseurs, sont rentrés dans le parc malgré la clôture et ont massacré trente bêtes de plus. » Le vrai problème c’est « l’amalgame chien-loup » entretenu par les médias : « Ils mélangent tout. On ne parle pas des chiens et on ne parle que du loup. Dès qu’il y a une attaque, on ne cherche pas à comprendre : du moment qu’il y a la présence de loup dans un massif, c’est lui. On lui met tout sur le dos, alors que les chiens font bien plus de mal ! ». Henri craint même la disparition du loup. Son argument, impopulaire au sein de la profession, semble fondé sur le bon sens : « S’il n’y a plus de loups, il n’y aura plus de chiens de protection, et là, ce sera de nouveau des massacres par les chiens errants ! ». En outre, le chien est l’une des proies du loup. Dans les zones où les densités de loups sont importantes, comme dans la Culebra espagnole et certaines régions des Carpates en Roumanie, il n’y a aucun chien errant…
Pourtant, on préfère souvent faire du loup un bouc émissaire plutôt que de reconnaître que le véritable problème est ailleurs : dans le déséquilibre d’un système qui rend nécessaire l’évolution des méthodes d’élevage, dans la dévalorisation du métier de berger ou dans la divagation des chiens, menace réelle pour les troupeaux. »
Voilà qui mérite réflexion….
Et d’autres questions me viennent aussitôt à l’esprit. Celle-ci par exemple : les indemnités que touchent les éleveurs sont-elles identiques selon qu’il s’agit d’attaques de loups ou de chiens errants ? Si ce n’est pas le cas, quelle crédibilité accorder aux déclarations de pertes ?
http://www.lotnature.fr/spip.php?ar…
Et celle-ci : les loups s’attaquent au « gros gibier » (chevreuil, sanglier, etc.). Ne vont-ils pas de ce fait, là où ils s’installent, entrer en compétition avec les chasseurs ? Cette corporation puissante risque de peser de tout son poids pour l’instauration d’un droit de chasse qu’on appellera (qu’on appelle déjà) régulation, prélèvement, etc. Sous couvert de protection des éleveurs et des troupeaux…
Et ce serait un comble de faire d’une espèce protégée un gibier de plus, un gibier de choix… la 92e espèce chassable en France.
http://www.gramat-parc-animalier.com/
De nombreuses visites accompagnées sont proposées aux visiteurs, enfants et adultes. L’une d’entre elles s’intitule : « le rôle des grands prédateurs dans l’équilibre naturel » et concerne plus particulièrement « le loup, cet animal méconnu ».